lundi 17 février 2014

suite

En 1948, Georges Orwell, dans son roman 1984, décrit la vie de Winston Smith, après l’implantation de l’ère nouvelle soumise au régime totalitaire. Il a voulu montré le pire prototype d’un régime de ce type, poussé aux excès. L’auteur anglais est témoin des pires périodes de son siècle dont l’implantation des régimes totalitaires nazi et soviétique. L’ancrage de ce dernier est son inspiration pour cette œuvre. En effet en URSS, Staline est à la tête du parti unique communiste qui prône ses bienfaits alors que le seul objectif est le pouvoir. Le totalitarisme soviétique se singularise par le culte de la personnalité de Staline. Chaque forme de communication est mis en œuvre pour glorifier le chef et rendre ses actions comme bienfaisantes. A la différence du totalitarisme nazi par exemple, le stalinisme pense que tout est dans les esprits. La propagande est le symbole de l’emprise sur le peuple. On décide de changer les pensées et rééduquer le peuple. Dans 1984, le même principe est souligné mais en creusant tellement loin que le thème principal en est la contre-utopie. 



Orwell

C’est trois années après la seconde guerre mondiale que parait le roman futuriste 1984. Trois années en effet où les esprits ont pris conscience de l’atrocité du contexte guerrier présent à travers le monde. Cette moitié du XXe siècle s’est vu ravagée par deux guerres mondiales qui ont changé les êtres et leurs mœurs. Ce changement de mentalité s’observe sur tous les domaines, ainsi, la vie politique a étendu son influence sur des populations ravagées moralement et a désormais évoluée laissant place à la venue d’idéologies extrémistes. Vaincre le mal par le mal, telle est l’idée synthétisant les deux grandes nouvelles idéologies totalitaristes de ce siècle. Après l’horreur guerrière (1914-1918) et la décadence prépondérante des nations au fils des années, les peuples n’ont confiance qu’en un système fort, puissant, assurant la survie et la renaissance des hommes.  De ce fait, les totalitarismes nazisme et soviétique se développent sur la période d’entre-deux-guerres, n’admettant qu’un parti unique et aucune opposition. En plus d’être des dictatures, ils se singularisent par l’omniprésence de l’état dans la vie du peuple, instaurant ainsi une manière de penser, l’idéologie. Ils seront l’inspiration majeure de notre roman. Cependant, l’œuvre se penche plus sur le régime totalitaire de l’URSS, toujours présent au sortir de guerre. Alors que l’Allemagne nazie a été vaincue, elle est dirigée par les vainqueurs : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France qui permettent ainsi sa renaissance basée sur d’inédits principes démocratiques. Au contraire, le totalitarisme soviétique est à son essor. L’URSS possède de même une partie de l’Allemagne qui est menée dans une toute autre façon, en instaurant des fondements cette fois-ci, communistes. L’Union s’est étendue à travers l’Europe de l’Est et fait régner son régime totalitaire sur un plus grand territoire. Ainsi, Orwell a décidé de se pencher sur ce cas afin d’envisager l’évolution d’un tel totalitarisme en 1984. Il s’inquiète en fait du futur du dernier totalitarisme encore actif au monde car l’œuvre futuriste évoque la notion de modernité des moyens mis en œuvre pour contrôler la population sur tous les points, ce qui mettrait en péril les libertés humaines. Les techniques de prise de pouvoir sur le peuple soviétique ont été des éléments majeurs à l’implantation du totalitarisme. En effet, l’enrôlement est la mise en confiance de la population face à l’idéologie obligatoire. L’état soviétique a tout d’abord usé de la propagande : cinéma, affiches, chants, organisations, parades… tout était créé avec une visée patriotique. La recherche d’innovation permet même l’utilisation du photomontage aidant à la suppression des mis à morts du parti communiste sur les dossiers et photos.


Exemple : élimination de Trotski, ancien bras droit de Staline


Cet exemple illustre le progrès du régime afin de prôner la perfection du parti unique : la présence d’aucun ennemi au sein de l’Union affirme sa perfection et ses bienfaits. Cette étape est décrite comme franchie à travers le roman. En effet le culte de la personnalité du chef du parti communiste, Staline, a inspiré l’état idéalisé de l’œuvre.  Orwell s’attache plutôt à l’étape suivante qui consiste à contrôler rigoureusement les sujets et à éradiquer chaque personne menaçant l’ordre établi. En URSS, la police de l’état, la NKVD assure l’autorité, notamment lors des Grandes Purges, période d’extermination des opposants réels ou perçus comme menaces du parti communiste ; elle fera en tout plus de 3 millions et demi de victimes. L’Union soviétique se montre comme utopie alors qu’elle est tout autre. Elle ne souhaitait pas radicalement exterminer les obstacles, mais avait pour but de rééduquer leurs esprits tout en usant de leurs travaux pour l’Etat dans les goulags. Ces camps de travail principalement situés en Sibérie laissaient une mince chance de survie pour les condamnés (dures conditions de vie : froid, maladies, pénuries etc). L’auteur a ainsi fait de son monde futuriste, une dystopie (contre-utopie ; monde fictif qui bannit le bonheur) parfaite tout comme le régime totalitaire soviétique l’était. En 1948, lors de la parution du roman, l’Union soviétique et son système sont toujours d’actualité. Encore plus puissante du fait de sa politique d’expansion lors de la seconde guerre mondiale, elle construit autour d’elle une alliance communiste qui s’oppose aux principes de la relation des puissances franco-anglo-américaine. Les deux groupes forment respectivement deux pôles distincts : le bloc de l’Est et celui de l’Ouest. Un an auparavant, le plan Marshall a été l’élément déclencheur de cette séparation ; les Etats-Unis financent la reconstruction de l’Europe afin d’étendre son influence et sa lutte nouvelle contre l’URSS. Désormais, une grande partie du monde voit d’un mauvais œil l’évolution du dernier totalitarisme post-guerre. Orwell, britannique se permet donc de mettre en garde contre le système totalitaire soviétique qui menacerait le pacifisme mondial et surtout, l’Humanité.
En 1984, Londres est devenue la capitale de l’Océania, région anglophone du nouveau monde. Cette nouvelle ère laisse place à un régime totalitaire dirigé par le parti unique du Big Brother. Plus rude que n’importe quelle dictature, l’Homme n’est plus et constitue uniquement une masse endoctrinée, dirigée aussi bien physiquement que mentalement. Voici la particularité de ce monde. Les esprits sont identiques et contrôlés bien évidemment par une élite qui s’accapare les richesses et laisse les populations inférieures sans ressources. Mais pour régner, l’ordre mondial totalitaire doit être assuré. Tout comme le régime totalitaire basique, la propagande est l’arme majeure. Mais dans le roman vu comme futuriste, de nouveaux moyens sont mis en œuvre. C’est ainsi que la technologie et l’innovation ont été mises à profit pour l’emprise du peuple.  Le régime de l’Oceania utilise le plus souvent des télé-écrans, d’une part pour diffuser des messages de propagande ou bien d’instaurer une crainte face au visage permanent de Big Brother, d’autre part pour enregistrer chaque conversation afin de sanctionner l’homme ayant émis une parole suspecte. Chacun des lieux est surveillé de cette manière, ainsi, un opposant au régime peut vite être démasqué, mais la plupart du temps, cela incite à se conformer aux règles et à croire au bienfait de ce Big Brother tant vénéré par le culte de la personnalité. Le choix de son nom signifiant « Grand frère » lui ajoute la notion de protecteur intime et amical, ce qui est un paradoxe du principe de non-affection entre les habitants de l’Océania. C’est la « désintégration du noyaux familial » qui prône la dénonciation des membres d’une même famille. Tout comme le surnom attribué à Staline « petit père des peuples » alors qu’il séparait les enfants de leur famille afin d’éduquer et d’orienter leur esprit dans des organisations patriotiques.

Le portrait de ce dernier est décrit comme « plein de puissance et de calme mystérieux » mais aussi en tant que « lourd, calme, protecteur ». Ces antithèses renforcent l’image bienveillante qu’installe son visage permanent. L’histoire de Big Brother brosse la figure d’un surhomme historique s’étant démené pour son peuple dès le début du nouveau monde lors de la Révolution : « chef et gardien de la Révolution depuis les premiers jours ». Le Parti vante ses exploits auprès de la population qui le vénère malgré le doute qui plane au-dessus de son existence. En effet, Big Brother n’est jamais apparu autrement que par l’exposition de son visage sur les affiches ou télé-écrans. De plus, de nouveaux exploits à son égard sont racontés de jour en jour alors que la Révolution s’est faite quarante voir cinquante ans auparavant. Il est comme immortel. Ainsi, l’existence de ce « Grand Frère » tant glorifié semble être erronée : il n’est qu’un outil du Parti pour assouvir son pouvoir car chaque masse a besoin d’un modèle.



                                                       
L’illustration ressemble étonnement au portrait d’un espion soviétique Richard Sorge provenant d’un timbre. Big Brother est représenté comme un homme d’environ 40 ans, marqué par ses traits durs, sa bouche pincée et ses yeux froncés. Il illustre aussi bien la confiance en soi, la force, que la crainte et l’emprise. Le fond rouge en arrière-plan peut être interprété par le symbole du sang et la peur, ou bien par l’analogie du communiste stalinien (sa couleur symbolique étant le rouge). Il incarne le visage de cette ère nouvelle notée par la notion de grandeur.
L’environnement est lui aussi aménagé en faveur du Parti. La ville de Londres a perdu depuis longtemps son charme britannique. Elle ne possède pas de détails dans l’œuvre mis à part la description de gigantesques infrastructures du Parti. Les quatre ministères de l’Amour, de l’Abondance, de la Vérité et de la Paix la surplombent : « trois cent mètres de hauteur » qui illustrent bien l’omniprésence écrasante du parti dans la vie des hommes qui ne possèdent désormais plus de vie privée.
Le fonctionnement prospère du Parti du Big Brother se base en réalité sur le non-acquis. Le gouvernement sans cesse lutte contre ses supposés obstacles et ce, de manière discrète. Le monde de l’Océania a réussi à convaincre le peuple de sa nécessité. Pratiquement tout le monde adhère sans se poser de questions sur le bien et le bonheur. Toute notion passée est redéfinie. Pour commencer, la langue est modifiée laissant place à la « novlangue ». Arme fatale contre la liberté de penser, ce moyen d’expression signifiant mot à mot « nouvelle langue » réduit la diversité du vocabulaire en ne gardant que les mots utiles, c’est-à-dire ceux ayant un lien avec la vie sous le régime du Parti. Elle aboli certains termes comme « démocratie, science, justice, moralité, honneur » qui sont à présent dénués de sens ; ils n’existent plus car ce qu’ils représentaient auparavant est mort et enterré. La grammaire est elle aussi touchée par ce recul du savoir. Afin que la réflexion et l’expression soient limitées, les mots sont simplifiés : par exemple, l’antonyme de « bon » n’est plus « mauvais » mais « unbon ». Aucune exception n’est autorisée, « des chevaux » deviennent « des chevals ». De cette manière, l’intellectuel est bannit des esprits des hommes : une nouvelle valeur est créé « L’ignorance, c’est la force !». La préméditation de révolte et de pensée marginale est devenue impossible et ce, à l’encontre de la volonté de l’Homme.

Parmi cet univers futur complètement métamorphosé en une machine à hommes soumis, se trouverait-il un ou plusieurs sujets singuliers ? Le Parti a tout mis en œuvre pour éviter ces personnes menaçant l’équilibre totalitaire. Cependant, le roman nous trace l’évolution -d’un point de vue interne ou omniscient- de Winston Smith, 39 ans travaillant en tant que falsificateur de documents au Ministère de la Vérité (en novlang, Miniver). Il habite dans un immeuble plutôt délabré où il entretient dans une alcôve à l’abri du télé-écran, un journal secret ; support de ses pensées contraires au Parti. 


Winston


Orwell le présente ainsi comme un opposant du régime. Tout d’abord, physiquement : Winston est blond, maigre et frêle, tout le contraire de la prestance et du charisme que véhicule l’image aux cheveux bruns de Big Brother comme nous l’avons vu précédemment. Cette mise en scène défiant le protagoniste au régime totalitaire amène le lecteur à se mettre du côté de cet homme qui semble singulier et qui paraît être le seul à réfléchir en faveur de son bienêtre. Ensuite, ses contestations intérieures sont révélées lors des Deux Minutes de la Haine : message diffusé par le télé-écran de l’entreprise où l’on aperçoit des images de l’ennemi de l’Océania, se prénommant Goldstein qui incitent les employés à évacuer leur haine et leur colère par des cris et des gestes de furie. Winston est en dehors de cela. L’auteur le singularise et élève son personnage car ce dernier n’obéit pas à cette haine quotidienne imposée par le Parti ; ses sentiments ne doivent pas être orientés. Il est supérieur à la masse. Pour cela, Orwell n’a pas besoin de le glorifier au contraire, son infériorité physique  le rend plus humain face à la machine du Parti. Un homme est plus qu’un simple être parmi tant d’autres identiques comme veut le faire penser le gouvernement : il est particulier par son histoire, ses pensées, ses actes. C’est pourquoi l’auteur fait de Winston un protagoniste résistant, prenant des risques tout d’abord par ses pensées. Il se voit dorénavant comme opposant réel du Parti, se pose des questions sur une possible résistance. A cela s’ajoutent tous ses souvenirs du passé symbolisé par les rêves de bienêtre et de l’amour familial qu’il éprouvait à l’égard de sa mère avant le pouvoir totalitaire. Toute cette réflexion intime présente en réalité  le crime de pensée. Pour aller encore plus loin, l’écrivain évoque la notion d’utopie selon Winston qui nomme cet endroit imaginaire le « Pays doré » : il l’aide à s’échapper de la contre-utopie du totalitarisme, le rêve est un refuge mais un crime. Orwell prouve son engagement contre le totalitarisme et pour le pacifisme en associant à son personnage, le motif de l’amour. Après avoir été intrigué par une jeune femme brune, Winston se lie d’amour pour cet être qui partage les mêmes idées de révolte. Une lueur d’espoir et de bonheur vient percer le sombre ciel de l’Océania. Cette femme de 26ans se nomme Julia et travaille pour le Commissariat aux Romans (car bien évidemment, la culture est limitée et créé au profit du patriotisme). Le couple formera une union d’amour et de pensées. L’alliance est ici vue comme seule arme fatale contre une autre ligue -ici le gouvernement-. L’écrivain défend donc ici l’idée d’alliance des états pour lutter contre le régime totalitaire de l’URSS. Cependant, un faux pas gâcherait tout et c’est ce qui va arriver à notre protagoniste. Le roman est le support d’un réel parti pris de l’auteur : s’il veut prévenir, il doit choquer. Pour cela, Winston qui avait été le héros du lecteur, ne va pas s’en sortir. L’humanité qu’il représentait l’a mené au néant face à la trop puissante institution du Parti. Après avoir été piégé par le vieillard qui l’hébergeait, ainsi que par O’Brien qui se faisait passé pour un membre de la résistance secrète, il va se faire arrêter avec Julia. Aucune échappatoire n’est possible : il se fait torturer par cet O’Brien, qui se révèle être en réalité le chef de la police de la Pensée. Comment de tels hommes ont-ils pu incarner le peu d’humanité auquel espérait Winston ? Le lecteur se méprend, il ne comprend pas, et c’est le but d’Orwell. Ce dernier veut faire prendre conscience du pouvoir d’un régime qui change les hommes. L’Humanité est à préserver. Lors de son arrestation, le martyre de Smith lui montre les idées cruelles qu’il avait soutenues pour renverser le parti, il se rend ainsi compte qu’il était prêt à « tuer » ce qui lui ôte cette caractéristique d’humanité puisqu’il deviendrait aussi barbare que ses bourreaux. Plus tard, au fil des tortures des plus horribles qui lui sont infligées, notre héros se métamorphosera en un robot du Parti : il sera convaincu de ses bienfaits. Sa décadence morale se comprend lorsqu’il hurle qu’il préfère qu’on tue Julia plutôt qu’on continue de le torturer ; « Ce que vous lui faites m’est égal. Déchirez-lui le visage. Epluchez-la jusqu’aux os. Pas moi ! Julia ! Pas moi ! » Cette bestialité désacralise sa personne autrefois perçu comme héroïque. Cependant, cet évènement nous renseigne aussi sur l’obéissance de la population : les sujets doivent perdre leur humanité.


Voici comment George Orwell conçois la lutte contre le totalitarisme soviétique : l’alliance des hommes. Winston finira par être exécuté par le Parti alors qu’il venait d’y adhérer. Le chute du héros montre que chaque personne est voué à la mort ce qui renseigne sur l’inutilité d’un seul sujet dans un régime totalitaire. L’auteur engagé rend le lecteur méfiant d’un système politique qui se présente comme un modèle absolu. Ici, les valeurs sont complètement renversées où le Mal règne et où les hommes sont ôtés de leur humanité. Par ailleurs, il cherche à faire prendre conscience que la liberté est un don inestimable car le lecteur s’associe à Winston, il s’imagine vivre dans ce monde  semblable à l’enfer. Le roman dystopique lui fait réaliser ainsi que la démocratie est le meilleur système politique favorable à la condition de l’Homme et le personnage de Winston est le meilleur outil pour cette prise de conscience. La critique du totalitarisme de l’URSS est explicite, elle ouvre les yeux des populations civiles de l’Ouest sur la vie de l’Est et incite la lutte contre ce régime.

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