samedi 15 février 2014

suite

Ecrivain confirmé et politicien engagé, Victor Hugo est réputé pour avoir marqué le XIXe siècle. En effet cet homme occupant aussi les fonctions de poète, dramaturge a su inscrire ses œuvres aussi bien dans la littérature que dans la politique, ce qui fait de lui un homme engagé complet. 


Ses combats principaux furent axés sur les inégalités sociales, l’accès à l’éducation ainsi que la peine de mort. Suite à la parution de son roman Le Dernier jour d’un condamné en 1829 qui vantait l’abolition de la peine de mort, Hugo découvre trois années après dans un article de presse de la « Gazette des tribunaux » l’histoire du  procès d’un certain Claude Gueux qui fut condamné à mort à cause d’un meurtre. Cet évènement macabre est pourtant une aubaine pour l’auteur : en effet, il va s’approprier l’histoire du défunt pour lutter contre la peine de mort, en racontant son histoire depuis son entrée en prison jusqu’à sa mise à mort. Le roman sera ainsi fondé sur des faits réels en plus de la touche d’engagement d’Hugo et paraîtra deux ans plus tard, soit en 1834.

La parution de Claude Gueux  se fait dans un nouveau cadre grâce au  règne naissant de Louis-Philippe lors de la monarchie de Juillet. En effet ce régime considéré comme une monarchie moderne accorde plus de liberté aux « citoyens » : on voit la censure de la presse abolie, le catholicisme n’est plus automatiquement associé à la religion de l’état et d’autres mesures sont prises afin de favoriser la condition de l’Homme. C’est un grand bon avant pour la liberté d’expression et la volonté d’égalité. Cependant, la classe en profitant le plus est la bourgeoisie libérale qui règnera jusqu’à la Révolution amenant à la deuxième République en 1848. La distinction sociale s’accentue tandis que de la venue du choléra et la montée du chômage renforcent les inégalités. En 1830, le code pénal est amendé en étant plus clément face aux criminels. On construit de plus en plus de prisons afin de les accueillir dans de réelles structures et non plus les torturer. Malgré tout, ce n’est pas assez pour Victor Hugo ; les mesures prises comme l’invocation des circonstances atténuantes ou bien comme l’interdiction des peines dites « barbares » ne suffisent plus. La peine de mort n’est toujours pas anéantie. L’auteur est dans l’incompréhension qu’un simple homme puisse encore juger un de ses confrères et choisir de son exécution. L’évolution de son siècle doit forcément passer par l’abolition de la peine de mort qui est la condamnation la plus inhumaine à ce jour. Ses deux romans basés sur ce thème ne vont pas suffirent, et c’est ici qu’il va intervenir en tant qu’homme politique. Le 15 septembre 1848, notre homme va prononcer un discours devant l’Assemblée constituante en faveur de ce combat qu’il mène depuis tant d’années. En voici un extrait : « Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n’appartiennent pas à l’homme : l’irrévocable, l’irréparable, l’indissoluble.  Malheur à l’homme s’il les introduit dans ses lois. Tôt ou tard elles font plier la société sous leurs poids, elles dérangent l’équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions […] la loi épouvante la conscience… ». Il exprime ici la nuance à faire entre la loi et la justice. Tous les hommes sont égaux et ne peuvent se le prétendre, que s’ils ne prennent pas de décisions semblables au pouvoir de Dieu, soit celle de la mise à mort. Mais revenons à notre œuvre. Comme il a été dit plus tôt, la misère et la maladie touchent une partie de la population qui se voit démunie. Elle se voit laissée à elle-même et ne sait plus comment agir face au pouvoir détenu par la classe supérieure bourgeoise. Les pauvres volent de plus en plus pour tenter une issue face à leur malheureuse condition. La classe ouvrière, particulièrement touchée par la crise se voit dans l’incapacité de s’en sortir. Laissés à l’abandon, les victimes sont devenues celles de la société.

Martyre de la société, tout comme le souligne explicitement l’incipit de Claude Gueux par la phrase suivante « On va voir ce que la société en a fait ». Ce commentaire direct d’Hugo nous renseigne explicitement sur son engagement et sa volonté de prouver à tous qu’un criminel est engendré par la société entière, autant par les dirigeants suprêmes, que par le peuple lui-même. Le titre du roman n’est pas singulier, c’est réellement le nom du condamné à mort pour lequel va s’éprendre notre auteur. Il s’approprie l’histoire de ce voleur devenu meurtrier à cause de la décadence du monde qui l’entoure. En effet, l’œuvre possède la notion de réalisme car elle retrace de manière brève mais efficace, la vie de ce personnage réel devenu l’exemple même d’un enfant de la société mis à mort par les lois de cette dernière.


Claude Gueux

A Paris, en hiver, Claude Gueux est désigné dès le début comme un misérable ouvrier.  Pas marié, mais entretenant une relation avec une fille des trottoirs, ils possèdent à deux une petite fille. Alors que la famille déjà peu exemplaire, croule sous la basse qualité de vie et sous un logement précaire désigné comme « galetas », il arrive un jour où le froid et la faim de font réellement ressentir. En tant qu’homme de famille, Claude décide de voler pour satisfaire les besoins que requiert son logis. Il réussira à combler les nécessités de sa fille et son enfant pour trois jours mais sera par ailleurs directement arrêté et incarcéré à la maison centrale de Clairvaux, et ce pendant cinq années. L’exagération de la peine est de suite annoncée par le début de la nouvelle simplifié. Arrivé à la prison qui représente une infrastructure de la monarchie, notre personnage est de suite envoyé entre « cachot » et « dépôt » tel un moins que rien. Le ton de la nouvelle est directement donné ; Claude symbolisera l’opposition de la société et ses représentants. Et ce, notamment par le biais d’un personnage clef au sort du condamné ; le directeur des ateliers. Cet homme tyrannique nommé par les initiales M.D illustre le type même de l’homme sadique, sans compassion, voir sans humanité. Ce dernier se croit élevé par son statut d’homme d’état, mais ne représente rien aux yeux des  prisonniers mis à part la cause de leur souffrance.  Les prisonniers, tous du côté de Claude brossent la masse des pauvres et des délaissés de la société. Ils s’opposent tous à l’assurance tyrannique de M.D.
                               
 



Ces deux gravures d’Eugène Hugues datant de 1883 opposent les attitudes de Claude Gueux à gauche et de son directeur d’ateliers à droite. Tandis notre personnage se tient légèrement penché, l’air méfiant et craintif, son supérieur est illustré tel un chef confiant le regard au loin tel un visionnaire. Cette différence d’attitude annonce la suite de la nouvelle qui sera un défi entre ces deux protagonistes. En effet, chaque requête de Claude est refusée par M.D. Ce dernier est vu comme l’ennemi principal. Son caractère sans aucune morale est à plaindre. Perçu comme hautain, son opiniâtreté fait de lui un être idiot intérieurement « il allait tête haute et à travers toute broussaille jusqu'au bout de la chose absurde. L’entêtement sans l’intelligence, c’est la sottise soudée au bout de la bêtise et lui servant de rallonge […] homme médiocre et obstiné qui avait foi en lui et s’admirait. Il y a par le monde beaucoup de ces petites fatalités têtues qui se croient des providences ». Victor Hugo ne cesse d’introduire des commentaires sur ce personnage qui illustre l’ensemble des personnes de la société qu’il déteste. L’engagement de l’auteur est prouvé par ses commentaires omniprésents et moralistes. Il se base sur des faits, mais apporte son avis afin d’orienter la pensée du lecteur. Claude Gueux en devient son héros. Il se fait respecter des autres prisonniers, ce qui renforce la haine de M.D à son égard. Le directeur des ateliers souhaite être le seul à véhiculer l’image de chef. Mais il n’y peut rien, notre personnage fascine ses camarades du fait de sa prestance et de son influence. Il se servira notamment de son pouvoir afin d’augmenter sa ration quotidienne, ce qui lancera concrètement l’élément déclencheur de la guerre fatale entre lui et M.D.

Nous venons de le voir, Claude Gueux symbolise le chef de file aussi bien des prisonniers, des misérables que des victimes de la société. Il représente la partie populaire de la population. Il s’oppose ainsi au reste de la société, de ses dirigeants qu’illustre le chef des ateliers. Les deux protagonistes se lient un combat sans fin. Malgré sa maigre classe sociale, Hugo fait de son personnage réel un héros noble « honnête […] une figure digne et grave. C’était une belle tête. » Le lecteur en est proche et devient fasciné par cet homme pourtant simple qui paraît courageux et respectable selon l’écrivain.
Hugo attendrie le lecteur grâce à son protagoniste principal. En effet, dans la deuxième partie de la nouvelle, ce dernier lie une forte et profonde amitié avec un prisonnier du nom d’Albin. Ce jeune homme d’à peine vingt ans est le modèle du naïf, frêle et candide qui est fasciné par Claude l’imposant. Pour lui prouver sa fidélité, il lui donnera même une partie de son pain et ce, quotidiennement. Alors qu’en réalité, les deux hommes semblaient entretenir une relation charnelle, Hugo la modifie en relation amicale afin de se concentrer sur l’action principale. Les deux détenus ont réussis à construire une forme de bonheur autour d’eux, ce qui s’oppose à l’ambiance haineuse que peut instaurer une prison. C’est pourquoi M.D va s’opposer à cette relation trop utopique. Il en est jaloux et va décider de se venger de Claude en le séparant de son nouvel ami. Alors que l’un était l’univers pour l’autre, cette rupture était beaucoup trop dure pour notre héros. Ce simple incarcéré possède des sentiments profonds et sincères : il représente le semblant d’humanité parmi la haine ambivalente qu’entretenait le représentant de la société, M.D.
Par ailleurs, l’écrivain va appuyer sur l’homme qu’est Claude en lui ajoutant ce sentiment de manque à l’égard de sa lueur d’espoir et de bonheur désormais envolée ; « Pourquoi me séparez-vous d’Albin ? ». Cette question signait son désespoir. Alors que l’ennemi restait sur ses positions, notre héros fit preuve d’une grande intelligence en paraissant calme, serein et ce, malgré sa solitude. Au contraire de M.D qui avait agi à cause de son sentiment de jalousie, Claude méditait pendant de longues semaines pour enfin assouvir ce qu’il pensait juste. Il tua M.D. Ce geste désacralisant toute l’humanité de notre protagoniste est en réalité attendu par le lecteur. Hugo a orienté sa position en faveur du détenu afin de justifier son acte ultime. La condamnation à mort est donc perçue comme injuste face à l’acte cruel de M.D envers Claude. Le héros est ici fatal, l’auteur l’a pensé ainsi.

C’est dans cette nouvelle commentée par l’écrivain que le thème de l’abolition de la peine de mort est soutenu. En opposant un supérieur à un prisonnier, Victor Hugo a su humanisé le meurtrier en moralisant son œuvre par la problématique : qui est le véritable meurtrier ? Car en effet, Claude Gueux, enfant de la société a été abandonné par cette dernière. Nous ne pouvons donc pas lui reprocher ses actes perçus comme irresponsables. L’auteur a su retourner la situation par le jugement de la victime et du meurtrier. Son engagement discerné à travers toute l’œuvre provenant d’un fait réel, fait méditer le lecteur et la société entière sur la décadence de la justice et des inégalités prépondérantes entre les différentes classes sociales.


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