dimanche 16 février 2014

II/ Des inégalités sociales

L’époque du XIXème siècle a permis aux écrivains de puiser leur inspiration dans de nouveaux domaines. On retient principalement les thèmes sociaux et les héros du peuple. Hugo s’est ainsi appuyé sur ses deux grandes thématiques pour la composition de son chef d’œuvre, Les Misérables.  



Tout au long de sa vie, Victor Hugo s’est efforcé de lutter contre les injustices de son temps. Dans les grandes villes de France, tel Paris, s’était développée une terrible misère où un nombre incroyable de familles se logeaient dans de pauvres taudis. Ces hommes, femmes et enfants souffraient du froid en hiver et de la faim toute l’année.
Hugo, conscient de l’horreur de cette misère, a voulu, en écrivant Les Misérables, éveiller les esprits et démasquer les yeux de la triste réalité. Les gens du peuple, non atteints par cette pauvreté se voilaient la face, effrayés, dégoûtés ou même dérangés par ce qui les entourait. Pour Hugo, la misère n’était pas une fatalité. Dans son roman, l’écrivain fait découvrir à ses lecteurs le réel visage  des injustices et des misères de son temps : les mères qui doivent se prostituer afin de pouvoir nourrir leurs enfants, les enfants, d’un si bas âge qui sont envoyés pour travailler, les malheureux, si rongés par la faim, poussés au vol, à la criminalité, et toute une humanité humiliée, opprimée, privée de droits et de dignité, condamnée à la déchéance…
Hugo entame son combat contre la misère avec Le Dernier jour d’un condamné qu’il publie en 1829. Dans son roman, l’auteur réclame l’abolition de la peine de mort (car, plutôt que de couper des têtes, il vaut mieux, dit-il, s’attaquer à la misère qui est la principale cause de la criminalité). Il dénonce à nouveau la peine de mort avec Claude Gueux publié en 1834. A partir de l’année 1845, Hugo commence à rassembler plusieurs idées et plusieurs notes avec le projet d’écrire un vaste roman qui dépeindrait la société de son siècle. Il l’appellera d’abord Les Misères et le rebaptisera Les Misérables.
Hugo fut à la fois poète et écrivain mais aussi homme politique. Il siège à l’Assemblée en tant que député de Paris durant la Deuxième République, de 1848 à 1851. Il se fait entendre en demandant la mise en place de lois sociales qui amélioreraient le sort des pauvres et des déshérités.
En 1849, il prononce son Discours sur la misère devant l’Assemblée législative, discours qui restera célèbre : « La misère, messieurs, […] voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen-Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ? […] Il y a dans Paris, […] des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, […] que des monceaux infects de chiffons en fermentation […]. Voilà un fait. Et voulez-vous d’autres ? Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres […] est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a troué une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon (lieu où étaient abattus les chevaux vieux ou malades ; leurs cadavres étaient jetés dans des charniers (des fosses). Ce lieu grouillait de rats, attirés par l’odeur pestilentielle des cadavres en décomposition) ! […] Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! »
Dans le cadre d’une enquête sur les conditions de vie des classes ouvrières, Hugo se rend, avec des députés, dans le Nord de la France, à Lille. L’écrivain visite les caves dans lesquelles travaillent les ouvriers de l’industrie textile, et ce qu’il voit le met en état d’alerte : des enfants mal et très peu vêtus, affamés, malades à cause du froid et fiévreux, des hommes et des femmes affaiblis, vieillis et usés bien avant l’âge à cause de leur travail, abrutis par le malheur…

Hugo, horrifié et révolté par ses découvertes dans les caves de Lille, rédige un discours sur ce sujet en mars 1851 : « Figurez-vous ces maisons, ces masures habitées du haut en bas, jusque sous terre, les eaux croupissantes filtrant à travers les pavés dans ces tanières où il y a des créatures humaines. Quelquefois, jusqu’à dix familles dans une masure, jusqu’à dix personnes dans une chambre, jusqu’à cinq ou six dans un lit, les âges et les sexes mêlés, les greniers aussi hideux que les caves, des galetas (logement sordide, taudis) où il entre assez de froid pour grelotter et pas assez d’air pour respirer ! »
Par la suite, Hugo interpelle les hommes faisant les lois : « Messieurs, je vous dénonce la misère ! […] Poursuivez-la, frappez-la, détruisez-la ! Car, je ne me laisserai jamais le redire, on peut la détruire ! La misère n’est pas éternelle ! Non ! je le répète en dépit des murmures, non, elle n’est pas éternelle ! Il est dans sa loi de décroître et de disparaitre. La misère, comme l’ignorance, est une nuit, et à toute nuit doit succéder le jour. » Pour conclure, Hugo écrit :  « Savez-vous ce qu’il y a des plus éloquent, ce qu’il y a de plus irrésistible, ce qu’il y a de plus terrible pour commencer les révolutions […], c’est un enfant qui crie à sa mère : j’ai faim ! »

Hugo ne prononcera pas ce discours à cause des évènements politiques qui vont suivre. En décembre 1851, le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, modifie la Constitution (textes sur lesquels est fondée la République) et dissout l’Assemblée nationale. Il agit ainsi dans le but d’obtenir davantage de pouvoirs. C’est un coup d’Etat. La réaction du coup face à cet évènement fut la résistance puis l’exil. Il commence par se rendre en Belgique pour ensuite aller vers les îles anglophones. Pendant ce temps-là, en France, Louis-Napoléon Bonaparte devient empereur sous le nom de Napoléon III.
 Hugo fut en exil d’abord sur l’île de Jersey puis sur celle de Guernesey, au large des côtes normandes. Celui-ci exige que la République soit rendue aux Français ou il ne reviendra pas en France. Ainsi, dit-il : « Quand la liberté rentrera, je rentrerai. » Son exil s’étend sur vingt années (de 1852 à 1870, date à laquelle est proclamée la Troisième République). Cette période lui permettre de composer plusieurs recueils poétiques. A Guernesey, il achève Les Misérables en 1862.
Avant de publier le premier tome des Misérables, Hugo écrit à son éditeur belge en mars 1862 : « Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon œuvre. » L’écrivain avait juste.
L’action des Misérables se déroule sur dix-huit ans, de 1815 à 1833. A travers ce long roman, plusieurs personnages sont mis en scène et dont les destinées se croisent ce qui forme le récit. Jean Valjean est le personnage principal du livre et c’est autour de lui que s’organise le roman.

Dans Le Dernier jour d’un condamné publié en 1829, ou encore dans Claude Gueux, Victor Hugo exprime son horreur pour la peine de mort et son désir de la voir abolie comme il l’a aussi réclamé en tant que député. La préface ajoutée au premier de ces roman en 1832 est d’ailleurs très explicite : « L’auteur aujourd’hui peut démasquer l’idée politique, l’idée sociale, qu’il avait voulu populariser sous cette innocente et candide forme littéraire. ». Il déclare donc, ou plutôt il avoue hautement que : « Le Dernier jour d’un condamné n’est autre chose qu’un plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour l’abolition de la peine de mort. »
L’immense roman de Victor Hugo, Les Misérables, est à la fois un réquisitoire pour dénoncer la misère du peuple au XIXème siècle et un plaidoyer qui en révèle la grandeur. C’est un peuple affamé de pain et de justice sociale qu’il représente magnifiquement à travers le destin de Jean Valjean, envoyé au bagne pour avoir volé un pain afin de nourrir sa famille. Après dix-neuf ans de bagne, il doit son salut à la bonté d’un évêque et trouve la rédemption en devenant le maire d’une petite ville et le bienfaiteur de Cosette qu’il recueille et dont il assure le bonheur.

Les Misérables est une œuvre majeure de la littérature du XIXème siècle. Ce roman dénonce la misère sociale du siècle.

Au début des Misérables, Jean Valjean a quarante-six ans. Il vient de passer dix-neuf ans au bagne, synonyme d’enfer. En effet, les conditions de vie des forçats étaient terribles. On les fait travailler, de l’aube jusqu’au soir jusqu’à ce qu’ils soient à bout de force avec les pieds fixés par de lourdes chaînes et la menace constante des bâtons des gardiens. Pour dormir, ils devaient se contenter de bancs en bois, pas de matelas ni de couverture et enchaînés à des anneaux de fer. Au moindre écart de conduite, c’était les coups de bâtons et le cachot.
Jean Valjean est né dans une humble famille de paysans. Il a toujours connu la misère et la pauvreté. Ayant perdu ses parents très jeune, c’est sa sœur Jeanne qui l’a éduqué. Etant devenu un homme, lorsque son aînée perdit son mari, Jean Valjean dût à son tour lui venir en aide. Se retrouvant veuve, Jeanne était seule avec sept petits enfants à la charge.

La cause de Jean Valjean est un des thèmes des Misérables les plus discutables. Un forçat rejeté par la société devient un homme honorable, mais son existence tranquille est troublée par son passé. Doit-il être condamné pour ses anciennes fautes ? La justice dans cette cause, est-elle vraiment juste ?
Un autre point des débats est la gravité de la punition. Il est souvent objecté que la misère de Valjean est hyperbolisée et qu’en réalité même à cette époque-là, on n’aurait pas condamné un homme aux galères pour le vol d’un pain. Aussi invraisemblable que cela paraisse, Hugo s’est inspiré de l’histoire réelle d’un galérien nommé Pierre Maurin. Celui-ci a été condamné en 1801 à cinq ans de  galères pour le vol d’un pain, motivé par une seule raison – il avait voulu nourrir les sept enfants affamés de sa sœur. Après sa libération, Maurin, comme Valjean, frappe à la porte d’un évêque – Monsignor Miollis, un modèle réel pour le personnage de Monseigneur Myriel – qui le sauve de son malheur.
Dans Les Misérables, Jean Valjean est un personnage de la plus haute importance – on peut suivre le développement de son caractère et de sa psychologie. Sa vie est dure du début à la fin, même s’il éprouve aussi des moments de joie. Dans son existence pénible, il faut souligner surtout trois événements qui ont eu une influence considérable sur lui et ont changé sa destinée. C’est la rencontre avec M. Myriel, l’affaire Champmathieu et la confession à Marius où, après de lourds combats intérieurs, Valjean prend de graves décisions.




Valjean était à l’origine un homme pauvre et malheureux, mais pas mauvais. Ce fut son séjour de dix-neuf au bagne qui lui a endurci le cœur : il «était entré au bagne sanglotant et frémissant ; il en sortit impassible ». Après sa libération, Valjean ne rencontre que mépris, haine et préjugés ; on le chasse de partout, on lui refuse gîte et couvert. Désespéré, il frappe à la porte qu’on lui a indiqué, sans savoir qu’il s’agit d’un évêché. Il se hâte d’avouer son identité et attend d’être chassé comme toujours, mais M. Myriel, un évêque, le traite avec compréhension, compassion et même avec considération. « [Dire] Monsieur à un forçat, c’est [donner] un verre d’eau à un naufragé ». Pourtant, ces quelques moments de gentil traitement ne peuvent pas éteindre dix-neuf ans de peine. Dans la nuit, Valjean se lève pour prendre la fuite – il résiste à l’idée de tuer l’évêque, mais il emporte l’argenterie, oubliant tous ses sentiments du soir. Quelques heures plus tard, il est pris par les gendarmes et amené chez M. Myriel. Celui-ci, qui comprend très bien la situation de Valjean, ne tarde pas à le sauver. Il déclare que l’argenterie était un cadeau et lui donne aussi des chandeliers d’argent. Valjean, stupéfait, ne comprend pas une telle bienveillance, mais son cœur durci n’est pas encore touché par les mots de l’évêque : « Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition et je la donne à Dieu ». En se hâtant hors du village, Valjean est balloté par divers sentiments – sa haine et sa colère sont mêlées à l’humiliation et l’attendrissement. Mais il faut qu’il commette un dernier crime pour que son cœur fonde – après avoir volé un petit savoyard, il prend conscience de tout le mal qu’il a accompli et considère l’effet de l’acte de M. Myriel. « Alors son cœur creva et il se mit à pleurer. C’était la première fois qu’il pleurait depuis dix-neuf ans. ». Ainsi un bonhomme d’évêque réussit à convertir une âme presque damnée, et Valjean se débarrasse de son passé et change d’identité ainsi que sa vie entière.
Huit ans plus tard vit à Montreuil-sur-Mer M. Madeleine, un maire respectable au bon cœur ; personne ne reconnaît en lui l’ancien forçat Valjean. Pourtant il y a un homme qui  soupçonne son identité – un inspecteur de Montreuil nommé Javert, qui le dénonce, après certains événements, à la préfecture de police. Entre temps la police arrête un autre homme qu’elle considère comme Valjean, M. Madeleine est donc laissé tranquille. L’affaire paraît être conclue pour le maire – un homme inconnu assurera la vie paisible du Valjean réel qui a toutefois fait beaucoup d’effort pour redresser les abus du passé et gagner la reconnaissance de la société. Mais ce qui ne laisse pas Madeleine tranquille, c’est sa conscience. Peut-on laisser souffrir un autre homme, bien que criminel, pour ses propres péchés ? Il fait alors face à un dilemme terrible – doit-il se livrer et perdre les fruits de son effort de huit ans ou garder son secret, mais perdre la paix de sa conscience et la grâce de Dieu ? Cette question rage dans la tête de Valjean comme une tempête et il passe une nuit effroyable. Examinant tous les arguments, sa décision est toujours plus difficile. D’une part il a des responsabilités et  des projets - il est un bienfaiteur de la région qui s’occupe de ceux qui en ont besoin et  il emploie des gens pauvres dans ses fabriques ; de plus il a promis à Fantine, gravement malade, de lui amener sa petite fille. Mais d’autre part ne rien dire, cela signifie condamner un homme qui, peut-être, n’a commis aucun crime, aux galères à perpétuité – c’est presque la même chose que de le tuer. Il est clair que le premier choix serait plus avantageux pour Valjean, mais il se rend compte que son but est de « Sauver, non sa personne, mais son âme. », et que « Se livrer, sauver cet homme [...] c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ». Alors, il se résout à assister à un procès et à prendre la décision finale sur place. Pour faire ainsi, il faut réaliser un voyage rapide et à cause de quelques complications, Valjean perd l’espoir d’arriver à l’heure. Il se dit que c’est une œuvre de la providence, mais toutefois il continue sa route. Finalement il arrive juste à temps pour prendre connaissance de la triste histoire de l’accusé Champmathieu et pour le sauver en avouant tout. Cet acte retransforme le maire honoré en galérien méprisé, mais sa conscience reste nette. Néanmoins ces moments d’horreur et de lutte intérieure laissent aussi une autre marque encore plus visible – les cheveux gris du maire deviennent tout à fait blancs.
Malgré tous les obstacles, Valjean finit par remplir sa promesse donnée à Fantine de s’occuper de sa fille abandonnée. Cosette devient le bonheur de sa vie, le sens unique de sa vie : « Aimé de Cosette, il se trouvait guéri, reposé, apaisé, comblé, récompensé, couronné, il n’en demandait pas d’avantage. ». Cependant il arrive un jour où sa vie presque idyllique avec Cosette est rompue par l’apparition de Marius – d’abord Valjean le hait, mais petit à petit il commence à comprendre que sa fille ne peut passer sa vie entière avec son « papa » vieilli. Alors, il supporte leur amour, il est prêt à se laisser tuer pour sauver la vie de Marius sur la barricade. Après leur mariage, Valjean se dit qu’il a accompli son devoir et que sa tâche est donc finie. Il se résout à abandonner Cosette pour qu’elle puisse être heureuse. Or cette décision est très douloureuse et signifie pour lui un grave sacrifice, Valjean doit donc prendre tout son courage pour faire le pas final – confier à Marius son identité. Il choisit le lendemain des noces de Cosette et Marius pour révéler à Marius son secret accablant. Il lui explique ses raisons d’agir : « Vous me demandez ce qui me force à parler ? une drôle de chose, ma conscience. » ; qu’il ne pouvait pas être assis à leur table « avec la pensée que, si vous saviez qui je suis, vous m’en chasseriez » et qu’il ne veut pas entacher leur avenir. Il se fait des reproches, s’humilie, tout en cachant ses bonnes actions – il considère ce sacrifice comme la punition finale de ses péchés : « pour que je me respecte, il faut qu’on me méprise ». Sa confession est émouvante, amère et si douloureuse qu’il ne peut s’empêcher de verser des larmes. Comme il l’a supposé, son aveu influence l’opinion de Marius qui ne comprend point ce caractère de martyre. Même s’il lui accorde des visites à Cosette, Marius commence bientôt à regretter sa faiblesse et fait sentir à Valjean qu’il est un visiteur importun. Ainsi poussé, Valjean se met en isolement total. Cette séparation est probablement le plus difficile de tous ses actes – « Le premier pas n’est rien ; c’est le dernier qui est difficile. Qu’était-ce que l’affaire Champmathieu à côte du mariage de Cosette et de ce qu’il entraînait ? ». Perdre une personne bien adorée est mille fois plus grave que perdre la liberté. Par ce dernier sacrifice, Valjean perd tout sauf sa conscience.
Toutefois la conscience, c’est la fortune la plus importante de Valjean. Éveillée par M. Myriel, elle joue un rôle considérable dans toutes ses décisions. « Je suis un galérien qui obéit à sa conscience, » dit-il. C’est avec elle que Valjean mène des luttes compliquées dans les situations difficiles et c’est elle encore qui triomphe toujours de ses côtés sombres. La conscience l’extrait du statut de forçat maudit et l’aide à rester un homme honnête, ou bien à devenir presque saint.
La cause de Jean Valjean est un des thèmes des Misérables les plus discutables. Un forçat rejeté par la société devient un homme honorable, mais son existence tranquille est troublée par son passé. Doit-il être condamné pour ses anciennes fautes ? La justice dans cette cause, est-elle vraiment juste ?
Un autre point des débats est la gravité de la punition. Il est souvent objecté que la misère de Valjean est hyperbolisée et qu’en réalité même à cette époque-là, on n’aurait pas condamné un homme aux galères pour le vol d’un pain. Aussi invraisemblable que cela paraisse, Hugo s’est inspiré de l’histoire réelle d’un galérien nommé Pierre Maurin. Celui-ci a été condamné en 1801 à cinq ans de  galères pour le vol d’un pain, motivé par une seule raison – il avait voulu nourrir les sept enfants affamés de sa sœur. Après sa libération, Maurin, comme Valjean, frappe à la porte d’un évêque – Monsignor Miollis, un modèle réel pour le personnage de Monseigneur Myriel – qui le sauve de son malheur.
Dans Les Misérables, Jean Valjean est un personnage de la plus haute importance – on peut suivre le développement de son caractère et de sa psychologie. Sa vie est dure du début à la fin, même s’il éprouve aussi des moments de joie. Dans son existence pénible, il faut souligner surtout trois événements qui ont eu une influence considérable sur lui et ont changé sa destinée. C’est la rencontre avec M. Myriel, l’affaire Champmathieu et la confession à Marius où, après de lourds combats intérieurs, Valjean prend de graves décisions.
Valjean était à l’origine un homme pauvre et malheureux, mais pas mauvais. Ce fut son séjour de dix-neuf au bagne qui lui a endurci le cœur : il «était entré au bagne sanglotant et frémissant ; il en sortit impassible ». Après sa libération, Valjean ne rencontre que mépris, haine et préjugés ; on le chasse de partout, on lui refuse gîte et couvert. Désespéré, il frappe à la porte qu’on lui a indiqué, sans savoir qu’il s’agit d’un évêché. Il se hâte d’avouer son identité et attend d’être chassé comme toujours, mais M. Myriel, un évêque, le traite avec compréhension, compassion et même avec considération. « [Dire] Monsieur à un forçat, c’est [donner] un verre d’eau à un naufragé ». Pourtant, ces quelques moments de gentil traitement ne peuvent pas éteindre dix-neuf ans de peine. Dans la nuit, Valjean se lève pour prendre la fuite – il résiste à l’idée de tuer l’évêque mais il emporte l’argenterie, oubliant tous ses sentiments du soir. Quelques heures plus tard, il est pris par les gendarmes et amené chez M. Myriel. Celui-ci, qui comprend très bien la situation de Valjean, ne tarde pas à le sauver. Il déclare que l’argenterie était un cadeau et lui donne aussi des chandeliers d’argent. Valjean, stupéfait, ne comprend pas une telle bienveillance, mais son cœur durci n’est pas encore touché par les mots de l’évêque : « Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition et je la donne à Dieu ». En se hâtant hors du village, Valjean est balloté par divers sentiments – sa haine et sa colère sont mêlées à l’humiliation et l’attendrissement. Mais il faut qu’il commette un dernier crime pour que son cœur fonde – après avoir volé un petit savoyard, il prend conscience de tout le mal qu’il a accompli et considère l’effet de l’acte de M. Myriel. « Alors son cœur creva et il se mit à pleurer. C’était la première fois qu’il pleurait depuis dix-neuf ans. ». Ainsi un bonhomme d’évêque réussit à convertir une âme presque damnée, et Valjean se débarrasse de son passé et change d’identité ainsi que sa vie entière.
Huit ans plus tard vit à Montreuil-sur-Mer M. Madeleine, un maire respectable au bon cœur ; personne ne reconnaît en lui l’ancien forçat Valjean. Pourtant il y a un homme qui  soupçonne son identité – un inspecteur de Montreuil nommé Javert, qui le dénonce, après certains événements, à la préfecture de police. Entre temps la police arrête un autre homme qu’elle considère comme Valjean, M. Madeleine est donc laissé tranquille. L’affaire paraît être conclue pour le maire – un homme inconnu assurera la vie paisible du Valjean réel qui a toutefois fait beaucoup d’effort pour redresser les abus du passé et gagner la reconnaissance de la société. Mais ce qui ne laisse pas Madeleine tranquille, c’est sa conscience. Peut-on laisser souffrir un autre homme, bien que criminel, pour ses propres péchés ? Il fait alors face à un dilemme terrible – doit-il se livrer et perdre les fruits de son effort de huit ans ou garder son secret, mais perdre la paix de sa conscience et la grâce de Dieu ? Cette question rage dans la tête de Valjean comme une tempête et il passe une nuit effroyable. Examinant tous les arguments, sa décision est toujours plus difficile. D’une part il a des responsabilités et  des projets - il est un bienfaiteur de la région qui s’occupe de ceux qui en ont besoin et  il emploie des gens pauvres dans ses fabriques ; de plus il a promis à Fantine, gravement malade, de lui amener sa petite fille. Mais d’autre part ne rien dire, cela signifie condamner un homme qui, peut-être, n’a commis aucun crime, aux galères à perpétuité – c’est presque la même chose que de le tuer. Il est clair que le premier choix serait plus avantageux pour Valjean, mais il se rend compte que son but est de « Sauver, non sa personne, mais son âme. », et que « Se livrer, sauver cet homme [...] c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ». Alors, il se résout à assister à un procès et à prendre la décision finale sur place. Pour faire ainsi, il faut réaliser un voyage rapide et à cause de quelques complications, Valjean perd l’espoir d’arriver à l’heure. Il se dit que c’est une œuvre de la providence, mais toutefois il continue sa route. Finalement il arrive juste à temps pour prendre connaissance de la triste histoire de l’accusé Champmathieu et pour le sauver en avouant tout. Cet acte retransforme le maire honoré en galérien méprisé, mais sa conscience reste nette. Néanmoins ces moments d’horreur et de lutte intérieure laissent aussi une autre marque encore plus visible – les cheveux gris du maire deviennent tout à fait blancs.
Malgré tous les obstacles, Valjean finit par remplir sa promesse donnée à Fantine de s’occuper de sa fille abandonnée. Cosette devient le bonheur de sa vie, le sens unique de sa vie : « Aimé de Cosette, il se trouvait guéri, reposé, apaisé, comblé, récompensé, couronné, il n’en demandait pas d’avantage. ». Cependant il arrive un jour où sa vie presque idyllique avec Cosette est rompue par l’apparition de Marius – d’abord Valjean le hait, mais petit à petit il commence à comprendre que sa fille ne peut passer sa vie entière avec son « papa » vieilli. Alors, il supporte leur amour, il est prêt à se laisser tuer pour sauver la vie de Marius sur la barricade. Après leur mariage, Valjean se dit qu’il a accompli son devoir et que sa tâche est donc finie. Il se résout à abandonner Cosette pour qu’elle puisse être heureuse. Or cette décision est très douloureuse et signifie pour lui un grave sacrifice, Valjean doit donc prendre tout son courage pour faire le pas final – confier à Marius son identité. Il choisit le lendemain des noces de Cosette et Marius pour révéler à Marius son secret accablant. Il lui explique ses raisons d’agir : « Vous me demandez ce qui me force à parler ? une drôle de chose, ma conscience. » ; qui ne pouvait pas être assis à leur table « avec la pensée que, si vous saviez qui je suis, vous m’en chasseriez » et qu’il ne veut pas entacher leur avenir. Il se fait des reproches, s’humilie, tout en cachant ses bonnes actions – il considère ce sacrifice comme la punition finale de ses péchés : « pour que je me respecte, il faut qu’on me méprise ». Sa confession est émouvante, amère et si douloureuse qu’il ne peut s’empêcher de verser des larmes. Comme il l’a supposé, son aveu influence l’opinion de Marius qui ne comprend point ce caractère de martyre. Même s’il lui accorde des visites à Cosette, Marius commence bientôt à regretter sa faiblesse et fait sentir à Valjean qu’il est un visiteur importun. Ainsi poussé, Valjean se met en isolement total. Cette séparation est probablement le plus difficile de tous ses actes – « Le premier pas n’est rien ; c’est le dernier qui est difficile. Qu’était-ce que l’affaire Champmathieu à côte du mariage de Cosette et de ce qu’il entraînait ? ». Perdre une personne bien adorée est mille fois plus grave que perdre la liberté. Par ce dernier sacrifice, Valjean perd tout sauf sa conscience.
Toutefois la conscience est la fortune la plus importante de Valjean. Éveillée par M. Myriel, elle joue un rôle considérable dans toutes ses décisions. « Je suis un galérien qui obéit à sa conscience », dit-il. C’est avec elle que Valjean mène des luttes compliquées dans les situations difficiles et c’est elle encore qui triomphe toujours de ses côtés sombres. La conscience l’extrait du statut de forçat maudit et l’aide à rester un homme honnête, ou bien à devenir presque saint.

Jean Valjean, le personnage principal de Les Misérables de Victor Hugo, est un homme intégral de l’histoire de la rédemption d’une société corrompt. Symboliquement, la force de Valjean représente son courage interne pour changer sa situation. Bien que ses expériences passées étaient criminelles et injustes, il change sa vie et il peut aider les autres misérables. Il prouve qu’il est un homme valable par sa tutelle de Cosette et ses actes bienveillants pendant les temps de violence et fouillis. La métamorphose de Valjean dans Les Misérables lui permet d’aider le peuple et montre la compassion dans leurs cœurs.



« Elle se nommait Fantine. Pourquoi Fantine ? On ne lui avait jamais connu d’autre nom. » Victor Hugo, les Misérables, tome I, lire 3, chapitre 2
« Fantine était un de ces êtres comme il en éclot, pour ainsi dire, au fond du peuple. Sortie des plus insondables épaisseurs de l’ombre sociale, elle avait au front le signe de l’anonyme et de l’inconnu. Elle était née à Montreuil-sur-Mer. De quels parents ? Qui pourrait le dire ? On ne lui avait jamais connu ni père ni mère. […] A dix ans, Fantine quitta la ville et s’alla metrre en service chez les fermiers des environs. A quinze ans, elle vint à Paris « chercher fortune ». Fantine était belle et resta pure le plus longtemps qu’elle put. C’était une jolie blonde avec de belles dents. Elle avait de l’or et des perles pour dot, mais son or était sur sa tête et ses perles étaient dans sa bouche. Elle travailla pour vivre ; puis, toujours pour vivre, car le cœur a sa faim aussi, elle aima. Elle aima Tholomyès. »
Félix Tholomyès, fils de riches bourgeois établis à Toulouse, était venu faire ses études à Paris, où il menait une joyeuse vie. Fantine tomba amoureuse de cet étudiant insouciant, un peu poète à ses heures, et elle céda sans doute trop vite à sa passion, sans se rendre compte que cette passion n’était pas partagée : pour Tholomyès, en effet, Fantine n’était qu’une amourette, qu’une de ces filles comme il y en a tant dans Paris et qu’on appelle des grisettes : de modestes ouvrières qu’on attrape facilement avec de belles paroles et de jolis cadeaux, qu’on aime le temps d’une aventure, puis qu’on abandonne sans regret.
Fantine et Tholomyès devinrent donc amants, et ce bonheur dura un peu plus de deux ans, durant lesquels Fantine mit au monde une petite fille, qu’elle prénomma Euphrasie, mais à laquelle elle donna le tendre surnom de Cosette. Et puis un jour vint où Tholomyès, ses études à peu près achevées, décida de regagner la province, où l’attendaiit une vie confortable de bourgeois rangé. Dans cette vie-là, Fantine n’avait pas sa place. La petite Cosette encore moins : Tholomyès n s’était jamais interessé à elle, et il ne se souciait pas plus du sort de sa fille que de celui de Fantine.
Fantine pleura. Depuis le début de sa liaison avec Tholomyès, elle avait cessé de travailler, et goûté aux joies de la vie facile. Désormais, elle se trouvait sans ressources et condamnée à la déchéance. Car, au début du XIXème siècle, la morale condamnait sévèrement les filles-mères, c’est-à-dire les femmes qui avaient un enfant sans être mariées. Ces femmes-là étaient méprisées et rejetées par la société.
Lorsque Fantine quitta Paris et retourna à Montreuil-sur-Mère, la ville où elle avait grandi, elle trouva la famille des Thénardier pour garder Cosette. La mère devait, bien évidemment, payer une somme régulièrement qui augmenta progressivement.
Mais dès que Fantine fut partie, les Thénardier traitèrent Cosette avec la plus grande cruauté : « on l’habilla des vieilles jupes et des vieilles chemises des petites Thénardier, c’est-à-dire de haillons. On la nourrit des restes de tout le monde, un peu mieux que le chien et un peu plus mal que le chat. […] Cosette mangeait avec eux sous la table dans une écuelle de bois pareille à la leur. »
Souvent Fantine écrivait (ou plutôt, elle faisait écrire, car elle ne savait ni lire, ni écrire) pour avoir des nouvelles de sa fille ; on lui répondait que Cosette se portait à merveille ? mais la pauvre enfant était en réalité maltraitée ; sur elle pleuvaient les coups et les injures, car les Thénardier étaient de méchantes gens, de mauvaises âmes.

Fantine est d’un tempérament doux, elle est courageuse et généreuse pour sa fille, mais elle aussi faible et naïve, elle se laisse abuser facilement.
Elle n’est pas maîtresse de son destin : elle subit le destin qui est matérialisé par les Thénardier, la société, ils sont sans pitié.

Fantine est le personnage misérable entre tous. Victime de son injuste destin, dès sa naissance – elle n’a pas de famille, pas de nom – poursuivie par le malheur, abandonnée par celui qu’elle aime, abusée par les gens sans scrupule : Tholomyès, les Thénardier, le fabricant de perruques, l’arracheur de dents, elle cumule tous les malheurs, la cruauté d’un bourgeois et l’implacable rigueur de Javert…
Hugo prend Fantine d’autant plus « misérable », pitoyable et émouvant, qu’elle était au départ très jolie, pure, naïve. Il dénonce à travers elle, ce qui fut le sort de bien des jeunes filles de campagne quia allèrent « chercher fortune » à Paris : la trahison amoureuse, les enfants non voulus, la misère matérielle et morale, l’abandon et le mépris de la société bien pensante envers les filles-mères.
A travers le personnage de Fantine, l’auteur dénonce le sort des femmes du peuple au XIXème siècle.




Gavroche, né en 1820, est le fils des Thénardier qui rejettent leur fils. Le « gamin de Paris » se retrouve alors livré à lui-même dans les rues de la ville. Il dort, mange dans la rue et se débrouille tout seul.
Gavroche meurt le 6 juin 1832 alors qu’il chantait une chanson célèbre :
 « Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à … Rousseau. »

 Deux balles lui furent tirées dans la tête.

Quand Hugo évoque, dans Les Misérables, les émeutes parisiennes qui tentent de renerser la monarchie de Juillet, en dressant les barricades dans les rues de Paris, en juin 1832, il choisit la figure emblématique de Gavroche. Celui-ci symbolise parfaitement le peuple des « Misérables » qui mobilise sa vitalité, sa vivacité d’esprit dans ce mouvement de révolte : « […] il ranimait les fatigués […] mettait les uns en gaieté, les autres en haleine […] tous en mouvement, piquait un étudiant, mordait un ouvrier ; se posait, s’arrêtait repartait, volait au-dessus du tumulte et de l’effort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout l’attelage ; mouche de l’immense Coche révolutionnaire. » La longue énumération des verbes d’action, comme la métaphore « moche du Coche » qui fait allusion à la célèbre fable de La Fontaine « Le Coche et la Mouche », insistent sur son extraordinaire efficacité, son activité communicative. A travers ce personnage, Hugo contribue à la création d’un véritable mythe révolutionnaire. Car le romancier sait aussi captiver et séduire son lecteur en créant des personnages emblématiques auxquels le lecteur peut s’identifier.

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